Le désert de Sulmi, elle et moi. Ce fut finalement l'impure que je suis qui engagea ce combat. Mettant à profit la rapidité propre aux elfes, je fonçais sur la jeune femme lançant, entre deux foulées, mon arme. Lanae, campée solidement sur ses pieds plaça devant elle un bâton. Elle avait vu l'éclat de l'acier arriver droit sur elle et para, de façon à ce que l'arme se heurte à sa protection. Sauf qu'au lieu de s'y planter comme on pouvait s'y attendre de toute lame, elle ne fit que la toucher avant de tomber au sol. Profitant alors de la stupeur de la demi-elfe qui cherchait vainement à comprendre ce phénomène, je plongeais pour ramasser ma cuillère, donnait un grand coup de pied qui fit voltiger son bâton et frappait au visage. Une giclée de sang s'échappa de la coupure que venait de lui infliger mon arme grâce à la dent tranchante en son milieu. Un gémissement étouffé fut sa seule réponse à la douleur. Réagissant au quart de tour malgré sa plaie, Lanae sortit un poignard de son fourreau et chercha à m'atteindre. Sautant en arrière, mais pas assez pour éviter le coup, je ressentis une vive douleur et une fine ligne rouge apparut à travers mon vêtement au dessus de la poitrine. Cuillère en avant je repartis à l’assaut. Lanae et son poignard également. Ainsi nos armes s'entrechoquèrent une première fois, sans résultat, avant que je ne parvienne à coincer la lame de mon adversaire entre les dents de ma cuillère. Sans attendre, d'un coup de poignet j'effectuais une torsion brutale sur le poignard ce qui eut pour effet de le faire tomber des mains de sa propriétaire. Bondissant alors en direction du visage de la demi elfe désarmée je lui infligeais une autre coupure, plus profonde, qui traversa son visage de part en part à l’horizontale. En retombant je fus brutalement poussée en arrière par les mains de mon adversaire chez qui le mal avait provoqué un élan d'adrénaline. Reculant de ce fait de plusieurs pas, je finis par m'arrêter mais ne relança pas l'offensive.

- Reprends ton arme. Je ne me bats pas contre quelqu'un qui ne peut se défendre. Malgré une déformation dû à la fragilité de ma cuillère, je tenais toujours celle ci en main.

- Je t'aurai ou je mourrai, mais je ne perdrais pas ce combat. Me répondit elle en prenant son poignard, ses cheveux qui collaient à son visage prenant une teinte pourpre.

Tout étant dit, ce fut elle qui se lança. Agile et avec l'énergie du désespoir elle tenta une feinte sur la droite avant de brutalement revenir pour frapper mon coté gauche. Comprenant trop tard son action une fois encore, le coup porta bien que j'avais esquivé en partie. Je dus me mordre la lèvre pour ne pas hurler. A présent derrière moi, nous fîmes volte face en même temps. Un saut m'évita le retour de son poignard dans les jambes et grâce à mon déséquilibre provoqué par ma blessure elle parvint à esquiver une partie de mon attaque portée encore et toujours à son visage. Malheureusement, cela eut pour effet de faire traverser la prochaine coupure en plein dans son oeil droit, au lieu du front. Un cri de douleur s'échappa de sa gorge. Frappant rageusement à tort et à travers devant elle, sans bien voir, Lanae m'obligea à reculer. Trouvant une faille dans cette attaque désorganisée je bondis pour la frapper une nouvelle fois qu'elle ne vit pas venir. Une profonde estafilade s'en suivit de la gauche de son front à son menton. En retour, j'eus une vilaine entaille au bras gauche qui me fit gémir avant que nous nous séparions à nouveau, essoufflées. Et encore une fois ce fut elle qui fonça, prête à me planter son arme en plein estomac lorsqu'elle s'arrêta soudainement, un pas devant moi le visage couvert de sang. Elle leva son arme et alors que je pensais qu'elle voulait à son tour m'attaquer au visage, et donc m'élançais sur la gauche afin d'esquiver, je vis du coin de l'oeil un sourire s'étirer sur son visage avant qu'elle ne se tranche la gorge sauvagement. Abasourdie, je ne maîtrisai plus ma chute et tombais lourdement sur le coté. Elle était morte, j'étais en vie, mais elle avait raison. Je n'avais pas vraiment gagné ce combat.

Elle me regardait, ses yeux brillaient d'une insatiable envie de meurtre. Nous nous faisions face, mais telle une ruelle se terminant en cul de sac, son intention était de me faire obstacle. Si j'allais à droite, elle suivait le pas ! Idem pour l'autre côté. Je compris dés lors que la confrontation était inévitable... Ma route passait par là, et cette fois je ne pouvais m'en dérober. Les secondes filèrent qui pour moi parurent une éternité, une impression qui cessa dés l'instant où cette... fille, m'injuria ! Elle le cria si fort que j'en saisis chaque mot ; "Espèce de raclure de merde ! Va crever !". J'en fus estomaqué ! Mais je n'attendis pas d'en savoir plus, équipée d'un arc, elle pouvait m'épingler à tout instant. Ce fut sur cette seule intuition que je me pris à courir ! Si je voulais la paix, il fallait que je prépare la guerre. À cette pensée, je lui bondis littéralement dessus ! Déséquilibrée sous mon poids, nous nous écrasâmes dans le sable. Là encore je ne voulais pas, je me refusais à lui faire du mal... mais elle se débattait si férocement que je dus me faire une raison ! Ainsi je voulus dans la foulée, m'emparer d'un de mes cimeterres afin de mettre un terme à ses souffrances, mais... je ne parvins point à les empoigner.

- Qu'est-ce... M'interrogeai-je à voix haute, ce qui laissa à l'assaillante tout le temps de me repousser en me décochant un bon coup de coude au visage. D'un saut elle se releva, puis m'envoya son pied dans l'oeil, ce qui me fis tomber sur le dos. ...pourquoi ? Lui demandai-je naïvement les dents scellées par la douleur, mais nulle réponse ne vint étayer cette question.

Combien y étaient passés avant moi, et combien d'autres y passeront ? Cette haine gratuite m'écoeurait, il fallait que je mette un terme à ses méfaits, et tout de suite ! Pleinement conscient de son but, lequel était de me finir, je profitai de l'instant où elle voulut se saisir de son arc pour lui chasser les jambes à l'aide d'un violent coup de pied porté aux genoux ! L'opération fonctionna, au travers d'un petit cri, elle lâcha son arme puis s'écrasa derechef dans le sable. Désireux de la punir à la hauteur de ses crimes, je me jetai sur la jeune fille ! Dans l'action, une petite cuillère pourvut de trois dents jaillit d'une de ses poches. Sans réellement réfléchir à ce que j'allais faire, je pris l'ustensile et le planta dans un de ses deux poignets ! Elle hurla puis me mordit le bras jusqu'au sang. De mon oeil encore valide, je dirigeai mon attention sur la chair que je venais de meurtrir. Tous deux en proie à la folie, nous nous adonnâmes à notre besogne. D'un mouvement mécanique et répété, je poignardai frénétiquement le poignet de la vagabonde, alors que de son côté, ses dents cisaillèrent mon bras jusqu'à l'os ! Nous hurlâmes de douleur et d'écharnement jusqu'à ce que notre aliénation finisse par s'estomper, comme si notre objectif avait été atteint. Sur l'instant je me dis que même si elle m'avait presque amputé d'un membre, plus jamais elle ne pourra faire de mal à autrui... mais ça, c'était avant que je ne me rende compte que je m'étais trompé de main... Je lui avais mutilé la gauche, alors qu'elle était droitière...

Je transpirais déjà… Je ne savais si c’était la chaleur du désert de Sulmi, la peur ou l’adrénaline du combat qui m’attendait, mais j’étais fin prête à affronter un adversaire plus que résistant, à savoir Eldakka. Ne me demandez pas, cher lecteur, comment la pacifique que j’étais en était arrivée là. Peu importait les raisons qui nous poussaient à nous attaquer, c’était ainsi... Et que la lutte commence ! Armée d’une petite cuillère en argent, tout ce qu'il y avait de plus basique en somme, c’était un objet inoffensif à première vue, mais efficace si bien manié ! Je n’étais pas aussi forte physiquement que mon rival, aussi me fallait-il être astucieuse dans ma démarche. Je décidai dans un premier temps d’user de mes poings, gardant la précieuse cuillère à l’abri des regards. Poings serrés, l'un deux renfermait la partie arrondie de mon accessoire, l'extrémité restant cachée dans la manche. Ainsi, ni vue ni connue, impossible de deviner l'utilisation d'un tel ustensile destiné normalement à la cuisine. Sans attendre une seconde de plus, je fonçais sur le Drow, faisant mine de vouloir lui donner une bonne droite. Mon action était plus que prévisible, Eldakka esquiva d'ailleurs sans mal mon attaque d’un déplacement latéral bien maitrisé. Tout ce que ma main frêle réussit alors à frapper fut le néant de l'air environnant. Instinctivement, je me déportais vers le côté opposé de mon adversaire pour adopter ensuite une position de défense, prête à engager encore. L'attaque que j'avais commencée, vous l'aurez compris, ressemblait forcément à ce que nos contemporains appelaient de la "boxe", mais sans gants ici. Prenant une expression déconfite, j'agitais mes poings dans le vide en tournant autour du Drow dans l'espoir de l'intimider. Bien évidemment, il n'en était rien, tout n'était que stratégie. Il fallait paraître ridicule sans trop l'être réellement. Déclarant alors ma semi-défaite d'un regard triste, je me ressaisis ensuite en reprenant une position offensive. L'approche directe me semblait en effet la plus efficace, dans la mesure où mes véritables intentions n'en seraient que mieux exécutées si l'adversaire s'en trouvait distrait.

- Bien joué Eldakka, mais à force de jouer des poings je finirai bien par te cogner...

Suite à ce très court dialogue, je prévoyais exactement la même manœuvre, avec une petite variante cependant. Il était évident qu’ Eldakka, encore une fois, était doté d’une grande perspicacité, aussi fallait-il que je sois prévisible, en apparence seulement. Me dirigeant à nouveau droit sur lui, je plongeai cette fois-ci ma tête au niveau de son torse, dans le but de lui faire croire que je comptais utiliser mon minois en guise de bélier. Toutefois, garder la tête baissée permettait également un avantage non négligeable : Eldakka aurait du mal à lire dans mon regard et donc à prévoir toute action de ma part, si je parvenais à rester subtile... ce que je fis à merveille. Me lançant dans ma course effrénée tel un taureau, je courais comme une dératée droit devant moi. Puis au moment de le frapper, lorsque celui-ci s’apprêtait de nouveau à esquiver, mon autre bras dégaina la cuillère pour aveugler mon adversaire, grâce aux rayons lumineux et ardents du soleil qui inondaient le désert de Sulmi et vinrent sans difficulté se réfléchir dans le métal de ma louche miniature. Je savais le regard d'Eldakka très sensible, et j'étais à présent tout près de lui... Saisissant alors l'occasion, je brandis mon arme et asséna un coup de petite cuillère en plein dans l'arcade sourcilière de mon rival, lui causant un hématome avant de griffer le reste de son visage avec le profile tranchant de la partie arrondie de mon ustensile argenté. Ayant ainsi le champ libre pour un court instant, j'étais comme un chat qui plante ses griffes dans un morceau de bois bien épais pour assouvir son besoin de s'étirer, sans aucune retenue. Ma cuillère était comme un pinceau et la peau du Drow était ma toile : une petite éraflure par-ci, une autre plus grande là-bas, d'un geste vif et précis afin de parfaire le tableau dans les moindres détails, le tout en quelques secondes aux dépends de l'adversaire. J'aurais espéré pouvoir lui enfoncer l'extrémité dans les yeux afin de les lui crever et le rendre aveugle... Malheureusement Eldakka était bien trop rapide et agile pour que je puisse lui faire subir des dégâts plus importants. Reculant alors pour reprendre une distance de sécurité raisonnable, je pouvais à présent admirer mon œuvre, à savoir quelques égratignures, avec un œil et une narine quelques peu boursoufflés. Mon objectif était atteint, j'étais parvenue à atteindre Eldakka avec une petite cuillère. Toutefois, une conclusion des plus pitoyables s'imposait : il fallait se rendre à l'évidence, les Drows avaient la peau dure...