C'est un énorme bruit qui me réveilla, des fracas immenses, rauques, comme si la terre avait décidé d'elle-même de se briser, de se déchirer pour tout engloutir. Lové dans les ténèbres, je ne sus pas vraiment si le son était venu de mon rêve ou de la réalité. L'endroit où je me trouvais était pourtant sans doute à des lieux du moindre séisme. Nous n'étions même pas au mois de Gaïa, je crois. Je n'en étais pas sûr. Je ne savais pas quel jour nous étions, ni même où en fait. Tout autour de moi, il n'y avait que l'obscurité et l'odeur de la poussière et de la cendre. Le feu ?! Je ne sais pas pourquoi mais cette idée éveilla en moi un sentiment d'urgence. Il fallait que je sorte d'ici ! Le besoin de trouver une sortie me fit me dresser brutalement, mais c'est la trappe de bois qui trouva en première, me forçant à m'asseoir à nouveau en me tenant la tête. La douleur aussi soudaine qu'inattendue me couvrait de tremblements. J'en oubliai un instant l'urgence et ma recherche.
Le long de la bosse de chair, à la fois molle et dure, douloureuse, c'était comme si de petites aiguilles glissaient pour aller me piquer le cou comme un millier de fourmillements. J'en regrettai de m'être levé. J'en regrettais même d'avoir voulu seulement partir. Je ne sais pas, peut-être que cet endroit était ma place finalement. Il faisait chaud ici après tout. Le sol meuble et sableux qui m'accueillait était sans doute plus confortable que l'extérieur. Qu'allais-je seulement y trouver ? Ne serait-ce pas plus simple de rester dans cet endroit, à attendre ? Certes, j'allais m'ennuyer au bout d'un moment, mais ici tant que je continuerais à ramper dans le noir rien ne m'arriverait, alors que là-bas, qui sais ce qui pourrait arriver ?
J'hésitai ainsi un moment qui me parut long. Puis, ma douleur s'estompant lentement, mes idées noires recédèrent et le besoin d'aller dehors se fit à nouveau sentir. Tendant mes mains vers le haut, je cherchais à ressentir le grain du bois, ses lignes, les coupures rêches là où il avait taillé. Ce contact m'attrista un peu. J'imaginai le bois se faire trancher brutalement par des menuisiers indifférents à son tourment. J'hésitai à enlever les mains. Alors les attaches en métal arrivèrent sous mes mains. Elles étaient lisses, avec des boursouflures à certains endroits, parfois aussi un peu irrégulière sous l'attaque de la rouille. Son contact froid était plutôt apaisant face au bois. Le métal, lui, ne souffre pas quand on le frappe. J'ouvris la trappe.
Dehors, le vent soufflait tandis que je m'extrayais de la petite cave qui m'avait protégé. J'ignorais de quoi, mais les murs noirs et effondrés indiquaient que quelque chose s'était passé ici. Le bois semblait avoir été en partie mangé par le feu et certaines braises légèrement lumineuses continuaient se repaître de ce qui restait. Un toit s'était affaissé à moins d'un mètre de la trappe, éparpillant ses plaques de schiste sur le sol. S'il tombé un peu plus près, je n'aurais sans doute jamais pu sortir des ténèbres où j'étais né. Je ne sais pas si je ne le regrettais pas un peu. Maintenant, sous les cendres grises et les ardoises sombres, le blanc immaculé de la chambre avait irrémédiablement été terni. Mais comment pouvais-je seulement connaître la couleur qu'avait eu ce lieu avant ?
Je tentai d'y réfléchir mais cet effort ne m'apporta que de la douleur. Je ne voulais pas savoir. Pas plus que je ne voulais voir et chercher à reconnaître les cadavres calcinés qui parsemaient certaines pièces. Non, tout cela m'oppressait. J'avais l'impression que j'allais me souvenir et cette idée me faisait horriblement peur. Je ne voulais pas. Je ne voulais pas me rappeler ce qui était arrivé. Je ne voulais pas savoir qui ils étaient. Je ne voulais pas savoir qui j'étais. Je ne voulais même pas être ici. Mes pieds se mirent à m'entraîner ailleurs. Ma marche se fit course. Je piétinais tout sur mon passage, ardoise, cendre ou pierre. Peu importait quel passé j'écrasais ainsi, quel reste historique de ce lieu je détruisais sous mes pas. Je souhaite juste demeurer dans cette amnésie, ce silence mémoriel dans lequel je me sentais plus à l'aise.
Je courus jusqu'à atteindre le haut de la colline, à travers le jonc et la bruyère, sans un regard pour le paysage derrière moi. Ce n'est qu'une fois en haut que je pris une grande bouffée d'air, iodée. Je poussai un grand cri, venu du plus profond de mon corps, venu du plus profond de mon cœur, un cri pour oublier, le cri d'un nouveau né. Je criai pour mon passé, je criai pour mon futur, je criai pour tout ceux qui avaient un jour faits partie de ma vie. Je criai mes larmes, je criai le vide qui habitait ma mémoire, je criai car je n'avais plus que cela à faire. Enfin alors, je criai contre la mer.
Je criai tant que cela me laissa à bout de souffle. J'avais le cœur au bord des lèvres, j'étais essoufflé mais souriant. J'avais l'impression que tout venait de recommencer, que tout était désormais possible. Je caressai l'herbe tendre avec la plante de mes pieds, je contemplai le ciel azur où avançait paisiblement des nuages et où attendait une lune brune et verte. Puis, mon regard descendit vers la mer haïssable et finit par glisser à nouveau sur les ruines noires. La vérité, c'était que je ne savais pas où aller. Je ne pouvais qu'écouter passivement les promesses du lointain portées par le vent.
Je tentai d'élever mes ailes mais elles étaient entravées. J'étais bloqué sur terre sous une lourde chasuble qui m'empêchait de bouger. Le vêtement blanc à la couleur passée, désormais noirci par la poussière du feu, était la dernière relique qu'il me restait de cet endroit que je ne voulais plus voir. Le bords semblaient avoir été découpés dans une étoffe plus grande pour qu'elle soit à ma taille. J'hésitai. J'avais l'impression que si je l'abandonnais, je perdrais là le dernier reste de cette vie. La déchirer et la jeter à terre comme j'en avais eu l'intention, ça aurait été comme de tuer à nouveaux toutes ces personnes que je ne connaissais pas.
Mais j'avais soif de liberté et j'étais épuisé de souffrir et de m'en vouloir. C'est pourquoi, avec le sentiment de trahir mes origines, je finis pas ôter le lourd vêtement, n'en gardant que le pantalon gris que je portais dessous. Je glissai la pauvre relique sur la branche d'un arbre, la laissant gonfler et battre au vent comme le drapeau blanc d'un abandon. Puis comme elle, à mon tour, je laissai la brise souffler sur mes ailes et m'emporter au loin.
¤ 7 Khole Gaïa ¤
~ Il est 8 heures 42 ! ~